08 mars 2015

Cartographie du Mexique (1500-1910)

By connecting old and emerging visual strategies, Antonio García Cubas fabricated credible and inspiring natonalist visual narratives for a rising sovereign nation, his beloved patria.

Dans sa monographie Traveling from New Spain to Mexico, dédiée aux pratiques cartographiques mexicaines du 19e siècle, la professeure Magali M. Carrera retrace l’histoire de la cartographie du Mexique depuis l’époque de la Nouvelle-Espagne jusqu’aux productions d’Antonio García Cubas (1832-1912). L’ouvrage est ainsi structuré: 1° la partie liminaire (dédicace à Alan Heureux, sommaire, liste des quatre-vingt-onze illustrations, préface, remerciements, introduction), 2° la partie centrale (sept chapitres), 3° la partie complémentaire (notes, bibliographie, index).

L’auteure débute sa préface par des considérations générales sur les cartes et la cartographie: «Maps depict real and imagined spaces. […] Mapping practices depict real and imagined places, as well.» Ensuite, elle souligne l’apport singulier de son étude en fonction de l’œuvre d’Antonio García Cubas: «The study of García Cubas’s works requires a holistic assessment of how a newly independent Mexico came to map itself within the broader history of mapping.» Enfin, elle présente un aperçu de l’introduction et des sept chapitres du livre.

L’introduction présente les fondements théoriques et méthodologiques de l’étude menée par Magali M. Carrera. L’auteure énonce d’abord ce constat: les cartes et images afférentes produites par García Cubas dérivent de pratiques cartographiques et de traditions picturales antérieures, mais elles sont aussi et surtout influencées par le développent d’un nouvel imaginaire apparu à la fin du 18e siècle et au cours des soixante premières décennies du 19e siècle. L’auteure passe ensuite en revue l’historiographie de l’histoire de l’art, de l’histoire de la cartographie et des études sur la culture visuelle dédiées au Mexique du 19e siècle. Elle s’attarde particulièrement à la réinterprétation des cartes depuis les années 1980, à la suite de la publication de l’ouvrage The History of Cartography (Harley & Woodward). L’auteure situe son étude de l’œuvre de García Cubas dans ce contexte de culture visuelle renouvelée. Cette nouvelle vision est abordée longuement dans la seconde section de l’introduction.

Les deux premiers chapitres présentent une rétrospective de la cartographie européenne du territoire mexicain depuis le 16e siècle jusqu’au milieu du 19e siècle. Le chapitre initial porte sur les cartographes français, hollandais et anglais, alors que le suivant traite des cartographes espagnols.

Dans le premier chapitre, l’auteure aborde à la fois les œuvres cartographiques et imaginaires qui rendent compte et scénarisent l’Amérique au 16e et 17e siècle: le cabinet de Côme de Médicis, la redécouverte de Ptolémée, l’invention de l’imprimerie, les voyages de découvertes, les atlas d’Ortelius, Mercator et Blaeu, le planisphère (1674) de Sanson, le frontispice (1757) de l’atlas de Vaugondy. La seconde section du chapitre traite de l’objectivation de l’histoire naturelle de l’Amérique au 18e siècle: la classification scientifique de Linné, les écrits de Buffon, Raynal, Pauw, Robertson et du Montréalais Jacques Grasset de Saint-Sauveur. Ces diverses constructions cartographiques et imaginaires de l’Amérique perdureront, mais elles seront remises en question au 19e siècle.

Le chapitre 2 met en relief les buts spécifiques de la cartographie espagnole et le rôle attribué à la Casa de la Contratación. L’auteure décrit notamment, pour le 16e siècle, les cartes de Juan de la Cosa et Juan López de Velasco, les écrits d’Oviedo y Valdés et López de Gomara, les questionnaires royaux (1530-1812) et les enquêtes du médecin Fernando Hernández. Au 17e siècle, les investigations furent moins intenses: l’histoire générale d’Herrera y Tordesillas, le questionnaire de 1604, la pharmacopée. L’auteure s’attarde davantage sur le 18e siècle: le changement de dynastie, les recommandations de Campomanes, l’intensification des questionnaires, la synthèse documentaire de Villaseñor, les tableaux peints typiques de la Nouvelle-Espagne, la carte (1767) d’Alzate de Ramirez, les antiquités et fouilles archéologiques. Ces diverses réalisations reflètent graduellement un sentiment propre au Nouveau Monde, distinct de celui de la mère patrie espagnole.

Le chapitre 3 est consacré aux voyageurs et explorateurs européens au Mexique dans la première moitié du 19e siècle. Leurs récits et illustrations sont caractérisés par leur méthodologie oculaire et leur stratégie basée sur les contrastes (opposition et intensification). L’apport d’Alexander von Humboldt occupe une place imposante, soit plus de seize pages: voyages, récits, illustrations (graphiques), cartes et rayonnement durable. D’autres contributeurs sont ensuite évoqués: William Bullock, Claudio Linati de Prévost, Karl Nebel, Jean-Frédéric Waldeck, Pedro Gualdi, John Lloyd Stephens, Frederick Catherwood, William Hickling Prescott, Corydon Donnavan, John Disturnell et Karl Sartorius. La conclusion de l’auteure à la suite de cette rétrospective: «Mexico was not so much a place as a journey that required no travel.»

Le chapitre 4 porte sur la nouvelle constitution de l’imaginaire mexicain (1810-1860). C’est dans ce contexte postcolonial que García Cubas a élaboré sa vision de la nation mexicaine et de l’État mexicain. Plusieurs aspects sont abordés: la figure féminine allégorique de la nation émergente, une œuvre de fiction de Bustamante, le rôle identitaire joué par des institutions (Musée national du Mexique, Académie Saint-Charles, Société mexicaine de géographie et de statistiques), l’utilisation de la lithographie et de la photographie (daguerréotype) favorisant le rayonnement de la culture populaire et savante, les répercussions de la Guerre américano-mexicaine (1846-1848).

Au début du chapitre 5, l’auteure esquisse la carrière et la personnalité de García Cubas dans le contexte de l’affirmation nationale des Mexicains au cours de la première moitié du 19e siècle. Ses propos sont notamment basés sur les mémoires du célèbre géographe. La première carte de García Cubas, la Carta general de la República Mexicana (1863), a été dressée en réaction aux lacunes de la carte de John Disturnell ayant servi à l’élaboration du Traité de Guadalupe Hidalgo (1848), la Mapa de los Estados Unidos de Méjico (1847). L’auteure analyse ensuite la composition et la signification de l’Atlas geográfico (1858), dont la description détaillée de la Carta general de la República Mexicana:


L’intervention militaire et politique de la France (1861-1867), sous le règne de Napoléon III, est ensuite relatée. Dans ce contexte, l’auteure décrit la Carta general de la República Mexicana dressée par Antonio García y Cubas en 1863. La popularité des photos de portraits en studio se répand à cette époque, notamment avec les photographes François Aubert, Antíoco Cruces et Luis G. Campa. Les photos constitueront une importance source documentaire pour García Cubas au cours des décennies suivantes. La dernière partie du chapitre est dédiée à l’intensification du nationalisme mexicain à travers des œuvres visuelles, dont The Republic of Mexico in 1876. L’auteure a inséré dans cette longue séquence descriptive une carte ethnographique et plusieurs planches tirées du livre de García Cubas. Un ouvrage collaboratif, avec Casmiro Castro, sur les chemins de fer mexicains, est aussi analysé. L’auteure conclut ce chapitre sur les visées nationalistes et modernistes de García Cubas, tout en soulignant l’absence des points de vue des Amérindiens et des femmes dans ses œuvres.

Après un survol du régime autoritaire de José de la Cruz Porfirio Díaz Mori (1876-1911), le chapitre 6 présente trois œuvres nationalistes produites par Manuel Rivera Cambas, Vincente Riva Palacio (collectif) et Antonio García Cubas. L’auteure analyse à la fois l’orientation, le contenu et les frontispices de ces histoires nationales. L’analyse de l’Atlas pintoresco é historico de los Estados Unidos Mexicanos (1885), par García Cubas, est la plus élaborée (vingt-cinq pages): contexte (cinq publications entre 1884 et 1889), survol et sommaire (treize cartes thématiques illustrées par des données statistiques et des scènes imagées), description détaillée de chaque planche, interprétation globale (plusieurs niveaux de lecture). Soulignions un passage de cette analyse approfondie: «This atlas structure makes connections between previous visual constructions of Mexico and contemporary visualizations, which seem stabilized and naturalized by the chimecal truth of cartography. [García Cubas] effectively connects and narrates images and imagery through various itineraries.» Cette étude magistrale est complétée par la présentation des dernières publications de García Cubas et l’analyse de sa photo publiée dans l’introduction d’El libro de mis recuerdos (1904). Deux thèmes récurrents retiennent l’attention de l’auteure à la fin du chapitre: la place traditionnelle de la femme au foyer et la figure allégorique de la femme symbolisant le Mexique.

Le dernier chapitre est consacré aux festivités du centième anniversaire de l’indépendance du Mexique: «Through the numerous events, activities, and performances of this grand celebration, the Mexicos envisioned by Antonio García Cubas came to life. The Centenario celebration was a synthetic moment. Through an examination of its content and structure, we may observe the impact of the mapping practices of the nineteenth century. This is to say, the Centenario celebration provides summation of Mexico’s nineteenth-century visual culture traced in this study.» Cette citation reflète le contenu du chapitre conclusif et le but de la monographie.

Appréciation

Le livre de Magali M. Carrera est le fruit d’une recherche prodigieuse et remarquable, comme en témoigne l’abondance des notes (plus de cinq cents) et la volumineuse bibliographie des sources primaires et secondaires (quarante pages). C’est aussi l’expression d’une réflexion novatrice, exemplaire et concomitante sur les arts visuels et la cartographie du Mexique (1500-1910). Par ailleurs, le style de l’auteure, la structure de l’ouvrage, la richesse du contenu documentaire et les fines analyses des illustrations rendent captivante la lecture de cette étude phénoménale.

Quel voyage sensationnel!

Référence

Carrera, Magali M. - Traveling from New Spain to Mexico: Mapping Practices of Nineteenth-Century Mexico. - Durham (Caroline du Nord): Duke University Press, 2011. - 352p. - ISBN: 978-0-8223-4991-4. - [Citations, p. xv, xiii, xiv, 108, 222, 233]. - BAnQ: à venir.

Carte

Carta general de la República Mexicana (1858) - Carta general de la Republica Mexicana formada para el estudio de la configuracion y division interior de su territorio. Imp. litog. de H. Iriarte y Ca., calle de Sta Clara no. 23. J.M. Munozguren litografia. Imprenta de Lara, Entrega 16a. (Text and tables surrounding map) Cuadro geografico y estadistico de la Republica Mexicana, por Antonio García y Cubas. - [David Rumsey Historical Map Collection].

Lectures complémentaires

Carrera, Magali M. - «Creole Landscapes». - Dans Dym, Jordana; Offen, Karl; dir. - Mapping Latin America. A Cartographic Reader. - Chicago: The University of Chicago Press, 2011. - xx, 338p. - ISBN 978-0-226-61822-7 - P. 110-113. - [Reproduction de la Nuevo mapa geographico de la America septentrional espanola (1767), dressée par José Antonio de Alzate y Raminez, p. 110 / Version ultérieure disponible dans Gallica: Nuevo mapa geographico de la America septentrional (1768)].

Craib, Raymond B. - «Historical Geographies». - Dans Dym, Jordana; Offen, Karl; dir. - Mapping Latin America. A Cartographic Reader. - Chicago: The University of Chicago Press, 2011. - xx, 338p. - ISBN 978-0-226-61822-7 - P. 153-158. - [Analyse et reproduction de deux cartes d’Antonio García Cubas: Carta general de la República Mexicana (1858), Los Insurgentes (1891)].
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Livres numériques gratuits

La Carta general de la República Mexicana (1863), dressée par Antonio García y Cubas, est reproduite et analysée dans la Grammaire de la carte. Par ailleurs, plusieurs cartes du continent américain sont référencées dans les deux autres livres: Anciennes cartes géographiques et Atlas du Québec.

La Grammaire de la carte présente les principaux éléments de la carte en vue de favoriser l’observation, l’étude ou l’analyse d’anciennes cartes géographiques: définition, support, contour, cartouche, orientation, grille, projection, échelle, toponymie, topographie, légende, illustration, commentaire, carton, thème. Compléments: cinq synthèses, liste des cartes, bibliographie, notice sur l’auteur.

Le répertoire Anciennes cartes géographiques recense les meilleures collections numériques d'anciennes cartes géographiques en libre accès, des ressources connexes, une sélection de documents cartographiques et une bibliographie. Les documents recensés dans les collections peuvent souvent être redimensionnés, imprimés ou téléchargés. Selon des modalités diverses, ils peuvent parfois être aussi libres de droits.

L'Atlas du Québec compte trois parties. La première contient un répertoire de cartes et plans relatifs au Québec couvrant cinq siècles. La deuxième est un guide d’interprétation d’anciennes cartes géographiques selon trois étapes: observation globale de la carte, analyse de ses éléments et élaboration d’une synthèse. La troisième présente quelques descriptions de cartes exemplaires.

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