07 juin 2015

Carte de l’Amérique du Nord (1755)


Cette carte de l’Amérique du Nord, dressée à Paris par Jacques-Nicolas Bellin, est constituée de deux parties jointes. Elle est coloriée à la main. Les degrés des coordonnées géographiques, latitudes et longitudes, sont insérés dans le cadre rectiligne.

Deux cartouches imposants sont insérés en diagonale, le cartouche de titre dans le coin inférieur droit et le cartouche des remarques dans le coin supérieur gauche.

Le cartouche de titre est encadré d’éléments végétaux et surmonté par les armoiries du roi de France (trois fleurs de lys). Il contient les informations bibliographiques:

- titre: Carte de L’AMERIQUE SEPTENTRIONALE Depuis le 28. Degré de Latitude jusqu'au 72.
- auteur: Par M. Bellin Ingénieur de la Marine et du Dêpost des Plans, Censeur Royal, de l’Académie de Marine, et de la Société Royale de Londres.
- année: M.DCC.LV.
- commentaire: Avec une Description Géographique de cette Partie de l’Amerique Nota qu’on na point marqué de Limites.

Le contour du cartouche des remarques est moins élaboré que celui du cartouche de titre. Il contient trois éléments: les légendes des couleurs et des signes, les échelles de la carte. Les couleurs délimitent les possessions françaises (Bleu), anglaises (Jaune) et espagnoles (Rouge). Les signes ont trait aux forts français (actuels, abandonnés), anglais et espagnols. Les trois échelles graphiques correspondent aux lieues communes de France, aux lieues marines de France et d’Angleterre, et aux milles d’Angleterre.

Produite au début de la Guerre de la Conquête (1754-1760), en Amérique, et à la veille de la Guerre de Sept Ans (1756-1763), en Europe, cette carte est propagandiste. En effet, les possessions anglaises sont circonscrites dans une étroite bande territoriale limitée à l’est par l’océan Atlantique, à l’ouest par les Appalaches, au nord par la rivière Kennebec et au sud par la Floride. Les colonies anglaises comprises dans ce corridor sont ainsi dénommées: Nouvelle-Angleterre, Nouvelle-York, Pennsylvanie, Nouveau-Jersey, Maryland, Virginie, Caroline et Géorgie. Les territoires acquis par l’Angleterre lors du Traité d’Utrecht de 1713 sont attribués à la France: l’île de Terre-Neuve, l’Acadie et la baie d’Hudson. Toutefois, la désignation des forts de la baie d’Hudon par leurs nouveaux noms anglais, ainsi que des remarques inscrites ici et là, indiquent clairement que la région de la baie d’Hudson est une possession anglaise. À titre d’exemple, ce commentaire sarcastique: Les Anglais cherchent un passage dans cette Partie mais il n’existe pas. Par ailleurs, Bellin préfère le toponyme LABRADOR nommé anciennement par les Français NOUVELLE BRETAGNE.

Comme la France et l’Espagne sont des alliés, les limites territoriales entre les possessions espagnoles et françaises ne sont pas délimitées, sauf partiellement au nord de la Floride. Ainsi, il n’y a pas de démarcation entre la Louisiane et les territoires espagnols du Nouveau-Mexique et de la Nouvelle-Navarre. Par contre, les territoires revendiqués par l’Angleterre sur la côte de l’océan Pacifique sont attribués à l’Espagne: Quelques Cartes Anglaises nomment cette coste Nouvelle-Albion a cause du Voyage de Drac de 1578. quoi quelle eut été decouverte en 1542 par les Espagnols. Les prétentions russes, au nord du Pacifique, sont aussi déconsidérées: Terre découvertes par les Russes en 1741. Sans y avoir abordé.

Les possessions françaises couvrent pratiquement toute l’Amérique du Nord. Trois toponymes en larges caractères gras soulignent cette prétention impérialiste: Nouvelle-France, au nord des bassins hydrauliques des plaines de l’ouest, des Grands Lacs et du fleuve Saint-Laurent, ou Canada, au sud des Grands Lacs et du fleuve Saint-Laurent, Louisiane, au milieu du vaste bassin hydraulique du Mississippi.

Dans les espaces connus, les toponymes sont innombrables et bien hiérarchisés par des polices variées, notamment pour les éléments naturels (océans, caps, baies, golfes, détroits, îles, fleuves, rivières, lacs, montagnes, hauteurs des terres) et anthropiques (bancs de pêche, villes et villages, nations amérindiennes).

En ce qui concerne les régions méconnues ou inconnues, il importe de souligner la rigueur scientifique de Bellin. Notons quelques exemples: Tout ce Pais est rempli de Lacs et de Rivieres dont le detail n’est pas trop bien connu, Ces Contrées et Nations Sauvages sont peu connus, On ignore si dans cette Partie ce sont des Terres ou la Mer, Ces Parties sont entierement inconnues.

Bellin fait état de certaines de ses sources documentaires. Il manifeste aussi son sens critique envers ses devanciers. Cette observation notée au nord de la péninsule d’Ungava l’atteste: Il n’y a point ici de communication comme certains Auteurs l’ont cru mais une longue chaine de montagnes.

Cette carte se caractérise donc par sa double dimension. D’une part, sa visée éminemment politique, la manifestation de l’hégémonie française en Amérique du Nord, et d’autre part, sa rigueur scientifique en ce qui concerne la géographie physique du continent nord-américain, avec ses précisions et ses vides. Ce dernier aspect est souligné par le cartothécaire Jean-François Palomino, dans La mesure d’un continent: «Bellin, homme de science spécialisé dans les questions de marine et de cartographie, est un fier représentant du siècle des Lumières.»

Carte

1755 - Amérique du Nord - Carte de l'Amérique septentrionale depuis le 28 degré de latitude jusqu'au 72, dressée par Jacques-Nicolas Bellin (1703-1772), coloriée à la main, 53 x 83 cm. - [Collection numérique de cartes et plans, Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ)].

Référence

Palomino, Jean-François. - «Nicolas Bellin et le Dépôt des cartes et plans de la Marine». - Dans Litalien, Raymonde; Palomino, Jean-François; Vaugeois, Denis. - La mesure d’un continent: atlas historique de l’Amérique du Nord, 1492-1814. - Québec: Septentrion, 2007. - 300p. - ISBN 978-2-89448-519-4. - P. 232-237. - [Un exemplaire similaire de la Carte de l'Amérique septentrionale depuis le 28e degré de latitude jusqu'au 72e est légendé à la page 235 et reproduit aux pages 236-237. Plusieurs autres cartes de Bellin sont reproduites dans cet ouvrage.]

Articles connexes

Carte de l'Amérique septentrionale (1755)
Les cartographes Bellin et d’Anville
La mesure d'un continent

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