09 août 2015

David Altmejd / Le flux et la flaque

J’aime le mouvement, j’aime l’accumulation et j’aime rendre les choses complexes.
David ALTMEJD

L’œuvre synthèse intitulée Le flux et la flaque (2014) est exposée au Musée d’art contemporain de Montréal (MACM) jusqu’au 13 septembre 2015. Elle sera ensuite exposée à Québec, au Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ).

Le livre éponyme

Le livre dédié à cette sculpture de l’artiste québécois David Altmejd est remarquable, aussi bien pour sa facture que pour son contenu. Il compte 128 pages et mesure 12,1 x 9,22 x 0,5 po. Il a été publié le 23 juin 2015 par la maison David Altmejd Studio Inc.

La couverture bleue foncée est rigide. Le dos porte cette triple inscription: David Altmejd / The Flux and the Puddle / 1. La première de couverture compte cinq éléments, de haut en bas: une grappe de raisins verts, le nom du sculpteur, le titre de la sculpture, un détail de la sculpture (une tête humaine), et une petite grappe de raisins verts. Les deux inscriptions dorées sont incrustées dans la couverture, tandis que les trois images sont collées sur la couverture. L’image d’une banane est collée dans le coin inférieur gauche de la quatrième de couverture.

Le livre compte trois parties:
1° la partie initiale intitulée The Flux and the Puddle (page de titre + 11 pages de photos)
2° la partie textuelle intitulée David Altmejd / The Flux and the Puddle (page de titre + essai illustré)
3° la partie iconographique intitulée The Flux and the Puddle (double page de titre + innombrable photos).
Une page identitaire complète l’ouvrage avec une photo de Floyd, le caniche de David Altmejd, les remerciements (envers plusieurs personnes, dont sa mère Danielle Laberge, son père Victor Altmejd, sa sœur Sarah Altmejd et son ami Jonah Disend), la notice bibliographique et les crédits photographiques.

L’essai d’Anne Prentnieks compte une douzaine de pages. Le reste du livre contient des photos d’ensemble ou de détails de la sculpture. Globalement, le livre constitue un album de photos professionnelles sur Le flux et la flaque.

L’album de photos

La première photo et la dernière photo de l’album illustrent le titre de l’ouvrage: les fils d’un dévidoir, au début du livre, et la flaque étendue sur le plancher devant la sculpture, à la fin de l’ouvrage. Nous allons tenter de dégager d’autres clés du livre et de la sculpture en explorant les autres photos de l’album.

Les onze photos introductrices proviennent des quatre façades de la sculpture, sans ordre apparent ou significatif: dévidoir (côté 1), melon (2), tête dorée (3), raisins et bananes (1), flaque (1), fleurs bleues (1), fils (2), tête [de la couverture] (2), inscription Make melon head (2), boule noire (4), fleurs blanches (3). Il s’agit de quelques détails thématiques, sans vue d’ensemble. Il en va tout autrement des photos de la troisième partie de l’ouvrage, celle qui est la plus considérable.

Les innombrables photos de la partie principale suivent un parcours circulaire bouclé: côté 1, côté 2, côté 3, côté 4, côté 1. Les vues d’ensemble et les détails de la sculpture se retrouvent dans cette section. Comme les modules de la sculpture sont en fait des vitrines, plusieurs objets sont visibles sur plus d’un côté.

L’architecture modulaire

Afin de bien localiser les clichés, voyons d’abord la structure générale de l’œuvre, tout en signalant que la datation (2014), les dimensions et les matériaux de la sculpture ne sont pas indiqués dans le livre. La sculpture mesure (hauteur, largeur, longueur) 327,7 x 640,1 x 713,7 cm / 129 x 252 x 281 po. Le plan schématique ci-dessous n’est pas à l’échelle:


Notons quelques repères.

La sculpture compte une cinquantaine de boîtes juxtaposées, vingt-cinq plus volumineuses dans la partie inférieure et vingt-cinq moins volumineuses dans la partie supérieure.

Sur le plan vertical, chaque côté contient cinq boîtes juxtaposées. Sur les côtés impairs, une plus étroite boîte est située au milieu. Sur les côtés pairs, de plus étroites boîtes sont situées aux extrémités.

Côté 1 - hôte, flaque / loups-garous
Côté 2 - hommes, dont un assis
Côté 3 - femme / hommes oiseaux
Côté 4 - culturistes, longues rigoles noires

Sur le plan horizontal, chaque niveau est constitué de deux boîtes superposées, celles du bas étant plus hautes que celles du haut.

Boîtes du bas - humains (femme, hommes, culturistes)
Boîtes du haut - monstres (loups-garous, têtes des hommes oiseaux)

Dans une boîte donnée, certains éléments sont placés au premier plan, d’autres au second plan. Ces dispositions variées contribuent à diversifier et complexifier la sculpture.

Le flux et la flaque contient les matériaux suivants: plexiglas, polystyrène, mousse expansive, gel et résine époxy, résine synthétique, cheveux synthétiques, tissu, cuir, fil, miroir, plâtre, peinture acrylique, peinture latex, fil de fer, yeux de verre, sequins, céramique, quartz, fleurs synthétiques, branchages synthétiques, or, plumes, acier, noix de coco, toile de jute, encre, bois, système d’éclairage.

L’exploration des photos

Les photographies reproduites dans le livre proviennent de cinq photographes: Lance Brewer (Andrea Rosen Gallery), Farzad Owrang (Brant Foundation Art Study Center), Denis Farley (Galerie de l’UQÀM), Andy Keate (Stuart Shave / Modern Art) et James Ewing (Andrea Rosen Gallery).

Comme j’ai décrit plusieurs parties de la sculpture dans un article précédent, L’atelier laboratoire de David Altmejd, je vais m’attarder à certains autres éléments reproduits dans l’album de photos.

L’œuvre compte trois inscriptions. Les deux premières sont explicites, la troisième est énigmatique. Sur la façade initiale de la sculpture, ce message: WOMEN ON THE OTHER SITE. L’énoncé signale et accentue la présence unique d’un personnage féminin du côté opposé à celui de la tête de l’hôte. Il s’agit bien sûr de Sarah, et d’un double renvoi. D’une façon symétrique, la sœur de David Altmejd apparaît dans la première et dernière sculpture de l’exposition Flux, si on fait abstraction du gardien surélevé exposé dans la rotonde du musée et de l’homme suspendu exposé à la sortie de l’exposition. Le personnage illustre aussi le fait que le chaos initial, celui qui a précédé la création de l’univers, symbolisé par le trou au milieu du visage de Sarah, a donné naissance à tous les objets relationnels insérés et évoqués dans Le flux et la flaque. [Photo de la sculpture Sarah Altmejd, (2003), p. 14]

L’inscription MAKE MELON HEAD est en quelque sorte le castel d’un tableau en trois dimensions inséré dans des modules du côté droit. Les photos de ce message et d’un melon anthropomorphe (oreille humaine) sont insérées au tout début de l’ouvrage. Une photo d’ensemble des côtés 1 et 2, au début de la troisième partie du livre, permet de comprendre la présence de ces éléments. À la base de la sculpture, au milieu du côté 3, on trouve un boîtier contenant des pigments. Deux branches séparées plongent dans ces matériaux d’artiste utilisés par le créateur de l’œuvre. Une branche bifurque à droite. C’est une branche morte. Une seconde branche bifurque à gauche. C’est une branche vivante. Par étapes successives, au moyen d’un melon transformé graduellement, elle se prolonge en donnant naissance à une tête humaine (oreilles et nez). Celle-ci est achevée par les mains de l’artiste sur un palier médian du module d’angle des côtés 1 et 2.

Tout comme les lettres de ces deux messages, les lettres de la troisième inscription sont dessinées sur des tranches de banane. Des photographies de quelques lettres du troisième message sont insérées au milieu de l’album de photos, sur des pages adjacentes: la lettre R, sur la première photo, les lettres T et N sur la seconde. L’ensemble des lettres situées du côté 3 de la sculpture est illisible. Ces lettres semblent en lien avec l’homme oiseau situé à la gauche de la dame en bleu. Par ailleurs, le message caché, si tel est le cas, semble être annoncé au-dessous de la tête de l’hôte figurant sur le côté 1 de l’œuvre: une flèche dessinée sur une tranche de banane pointe vers le visage de l’hôte (et vers un homme oiseau situé à l’opposé de l’œuvre). Des hypothèses!

La main créatrice est omniprésente dans la sculpture. C’est l’autographe de l’artiste. Voyons quelques exemples. Dans trois angles de l’œuvre, une tête est façonnée par les mains du sculpteur. À l’angle des côtés 1 et 2, comme nous venons de le constater, une tête est formée en utilisant un melon. À l’angle des côtés 1 et 4, la main façonne directement une tête humaine. À l’angle des côtés 3 et 4, deux noix de coco et des plumes d’oiseaux sont notamment utilisées pour créer un visage. Dans tous ces cas, le créateur dispose de matériaux primaires rangés dans des boîtiers à proximité de sa table de travail. Notons que le seul angle sans tête est celui où logent les lettres détachées du troisième message illisible.

La main façonne aussi de grands éléments, dont l’immense bassin blanc, visible sur les côtés 1 et 4, les longues rigoles de lait de coco et les culturistes, sur le côté 4, l’homme assis, sur le côté 3. La main dorée sur l’épaule d’un loup-garou, dans le coin supérieur gauche du côté 1, mérite aussi d’être signalée.

Plusieurs photos de l’album mettent en évidence les réseaux parcourant Le flux et la flaque, dont les fils traversant les modules et les fourmis circulant à différents niveaux de la sculpture. Tantôt rectilignes, tantôt enroulés sur des dévidoirs, les fils multicolores parcourent des lignes de transport d’énergie ou s’épanouissent sous formes géométriques plus ou moins semblables à des fleurs transparentes. Les fourmis marchent sur tous les plans, horizontal, vertical, oblique et sinueux. Soulignons également que des fourmis transportent les lettres du troisième message. Cet énoncé en construction ou message virtuel est situé dans le seul angle ouvert à un complément de l’œuvre, la main de l’artiste y étant absente.

Parmi les nombreux autres menus objets de l’œuvre, les petits disques bleus se distinguent. Tout autour de la sculpture, ils s’affichent dans une spirale ascendante. Sur le côté 1, de petites tiges dorées les maintiennent au-dessus du sol. Ce sont des pétales, des fleurs émergeant de la flaque. Sur le côté 2, l’homme assis au deuxième plan de la vitrine centrale, tel l’artiste au travail, enfile des disques bleus sur une chaîne. Sur le côté 3, des disques bleus parent la coiffure de la tête humaine aux cheveux blonds. Des objets similaires, jouant le rôle de paillettes vestimentaires, sont collés sur le corps de la femme, font corps avec Sarah. Sur le côté 4, dans le module supérieur central, un nuage de disques bleus surmonte les culturistes. Les photos de l’album rendent bien compte des différents usages de ce matériau.

Les têtes et les corps - humains (femme et hommes), animaliers (loups-garous et hommes oiseaux), végétaux (ananas, melons, noix de coco et raisins) - sont les objets majeurs traités dans la sculpture. À titre d’exemple, l’œuvre compte une douzaine de têtes humaines. Les photos de l’album sur ce thème dominant sont nombreuses et souvent présentées sous différents points de vue.

Les modules sont diversement densifiés, certains contenant plusieurs objets plus ou moins volumineux, d’autres étant vides ou presque vides. Une sculpture achevée, certes, mais aussi une œuvre ouverte aux possibles. Dans tous les cas de figure, les photos du livre s’avèrent utiles et intéressantes pour mieux saisir et comprendre Le flux et la flaque.

L’essai critique

Chaque visiteur est appelé à découvrir la sculpture à partir de sa vie individuelle et sociale, de sa personnalité, de ses connaissances, de son imaginaire, de sa vision de l’art et du monde. Pour mieux apprécier l’œuvre et la confronter avec ses propres idées, le visiteur peut aussi lire et écouter les propos de David Altmejd sur son travail, en général, et sur Le flux et la flaque, en particulier. Il peut enfin parcourir des articles et des essais portant sur le sculpteur et son œuvre phare. Dans ce contexte, le visiteur saura enrichir ses réflexions en parcourant l’essai d’Anne Prentnieks.

Le texte de l’étude est bilingue, la version française ayant été traduite par Ariane Delacampagne: Evolutionary Arc / Arc révolutionnaire. Anne Prentnieks situe d’abord l’œuvre maîtresse de David Altmejd dans son contexte historique. Elle développe ensuite son exposé sous les thèmes suivants: Transformation + Récit, Manifestation des rêves + Corps, Architecture de l’énergie.

La phrase initiale et la phrase finale de cet essai méritent d’être citées: «Système interconnecté de corps et de matières organiques, qui existe dans son propre incubateur, The Flux and the Puddle est l’œuvre maîtresse de David Altmejd.» | «Les miroirs croisés nous cachent des moments délicats d’information, masquent l’ensemble énigmatique du cosmos créé par Altmejd. Mais les reflets perpétuels des miroirs poussent l’œuvre hors de son cadre physique et la tirent de façon magnétique vers l’infini.»

Références

Altmejd, David; Kotana, Jason; Prentnieks, Anne. - The Flux and the Puddle. - New-York: David Altmejd Studio Inc., 2014. - 128p. - ISBN 978-0-9906628-0-8. - [Publication le 23 juin 2015]. - [Citations, p.23, 15 et 24]. - BAnQ: à venir.

Sur le site de l’artiste

David Altmejd
The Flux and the Puddle (Photos)

Sur le site du MACM

Décaissage de l'œuvre (Entrevue avec Anne-Marie Zeppetelli, vidéo, 1,19 min)
Montage de l'œuvre (vidéo, 2,01 min)

Sur la Toile

The Flux and The Puddle (Exposition Juices / Andrea Rosen Gallery) (Description) (Vidéo, 2014, Vimeo, 4:35 min)
The Flux and the Puddle (Robert Mack, vidéo, 2014, YouTube, 4:32 min)
Une œuvre de David Altmejd au MNBAQ (Le Devoir, 20 juin 2015)

Ajout (8 septembre 2015)

Lettres et messages | La sculpture « Le flux et la flaque » de David Altmejd contient quelques inscriptions. Il y en a une que je n’arrive pas à lire: photo ci-jointe. Pourriez-vous m’indiquer le contenu de cette inscription. (Question de Claude Trudel adressée au MACM, par courriel, le 19 juillet 2015) / J’ai posé votre question à l’artiste et les lettres que les fourmis transportent ne forment pas un mot, comme dans d’autres parties de l’œuvre The Flux and the Puddle. Ce sont tout simplement des lettres en transition. Les seules phrases intentionnellement formées dans la pièce sont « the woman on the other side » et « make melon head ». (Réponse par courriel de madame Sabina Rak, technicienne aux communications, MACM, le 8 septembre 2015)

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