02 août 2015

David Altmejd / L'atelier laboratoire

J’ai voulu créer un univers ou un système, un organisme qui serait capable d’inclure tout ce que j’avais fait auparavant - et donc c’est devenu un genre de laboratoire.
David ALTMEJD

L’œuvre synthèse intitulée Le flux et la flaque (2014) est exposée au Musée d’art contemporain de Montréal (MACM) jusqu’au 13 septembre 2015. Elle sera ensuite exposée à Québec, au Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ).

Lorsque le visiteur entre dans la salle où est exposée Le flux et la flaque, il est immergé dans un palais de glaces. Les murs sont tapissés de miroirs dans lesquels se reflète et se répercute l’œuvre qui occupe presque tout l’espace. L’effet est saisissant. En circulant dans la chambre ou en s’immobilisant pour observer l’un ou l’autre des éléments constatifs de la sculpture, dont de nombreux miroirs, le spectateur devient partie prenante de cet univers singulier.

Afin d’appréhender un tant soit peu la complexité de l’œuvre, dégageons les figures dominantes sur chacune des façades de l’immense écrin de plexiglas: les loups-garous, les hommes, les hommes oiseaux et les culturistes. Il s’agit bien sûr d’une simplification à outrance. Le visiteur aura tôt fait de le constater en contournant la sculpture dans un sens ou dans l’autre. À vrai dire, ce parcours circulaire n’a guère d’importance, car l’œuvre a été créée de l’intérieur.

Le récit de ce monde paradoxal débute par un dialogue entre la façade initiale, celle de l’ouverture, et son opposé, celle de la clôture. A / Une tête d’homme encadrée par deux petites branches de fleurs rouges. Un message inscrit sur des tranches de banane: The women on the other side. B / Une femme, à la tête évidée et au corps constitué de paillettes bleues, entourée de fleurs blanches. Une dualité révélatrice.

Au centre du premier côté, un immense bassin sillonné de multiples rigoles et un escalier de jus s’écoulant dans un carré souterrain et sur le plancher de la salle d’exposition. Cette immense flaque rappelle la seconde partie du titre de la sculpture. Ailleurs, les nombreux réservoirs, les diverses rigoles et les innombrables écoulements évoquent la partie initiale du titre. Mais le flux prend plusieurs autres visages dans l’univers d’Altmejd.

Tout en haut, de part et d’autre de la figure de l’hôte, des loups-garous en décomposition / cristallisation dont les avant-bras se démultiplient dans l’espace. Celui de gauche aboutit sur le côté latéral en saisissant un raisin vert qui affiche une émoticône. Celui de droite mange des ananas.

À l’opposé, sur un palier supérieur à celui de la dame en bleu, des hommes oiseaux aux souliers noirs sont postés dos à dos. Ils portent des chemises blanches et des pantalons noirs. Du côté droit, une main de l’homme oiseau se démultiplie en saisissant une grappe de cerises. De son bec ouvert, s’échappe une boule noire qui se transforme graduellement en tête humaine, puis finalement en culturiste (face à un autre culturiste) sur la façade latérale. Du côté gauche, un bras de l’homme oiseau se démultiplie tout en saisissant une mange qui se fragmente. En même temps, la tête du monstre se transforme par étapes en tête humaine sur le côté latéral opposé à celui des culturistes.

Après avoir exploré sommairement ces deux façades habitées par des monstres, attardons-nous aux deux autres où sont installés des humains. Ces côtés sont plus vastes et plus complexes. Soulignons quelques aspects caractérisant les deux grandes façades rectangulaires de la sculpture.

D’un côté le blanc domine, des hommes blancs portant des chemises blanches, et de l’autre côté le noir est entier chez les culturistes. Les hommes, sculptés en partie ou en entier, se décomposent en se cristallisant, tandis que les culturistes ont un corps intact. Dans les deux vitrines, les personnes représentées se font face. Ici comme ailleurs, la symétrie et l’opposition sont privilégiées dans le langage de l’artiste.

Du côté des hommes, au centre du tableau, il y a des glands sur deux branches de chêne, mais pas de figure au centre. Par contre, du côté des culturistes, il y a une tête similaire à celle de l’hôte, mais non encadrée par des branches. Sur cette même façade, il y a une tête enfermée dans une boîte de plexiglas et entièrement entourée de miroirs. Sous le regard du visiteur, cette tête se dore et se multiplie à l’infini dans tous les sens.

La main du créateur est omniprésente dans toutes les parties de la sculpture. Il y en a même une qui est dorée. Dans plusieurs endroits, et tout spécialement dans deux coins opposés, l’artiste montre des têtes en construction et quelques matériaux utilisés dans son travail. L’activité manuelle de l’artiste est manifeste et l’ensemble de l’œuvre est très personnalisé.

Parmi les autres éléments majeurs, soulignons les fils de diverses couleurs agencés d’une façon linéaire ou esthétisée en différentes formes gracieuses, les fruits (ananas, bananes, cerises, fraises, mangues, melons, raisins), les plumes d’oiseaux et les innombrables fourmis, les minéraux (quartz, or). Ainsi, les règnes minéral, végétal et animal se conjuguent et s’imbriquent dans cette étonnante production artistique.

Un œuvre exubérante! Combien d’autres éléments pourraient être notés et décrits! Combien de liens pourraient être établis avec ses œuvres antérieures! Combien d’interprétations pourraient être évoquées ou suggérées! Mais David Altmejd nous prévient: Le flux et la flaque ne saurait se révéler en totalité aux visiteurs, car la sculpture renferme des jardins secrets. Cet univers complexe contient «une infinité d’informations. Et même si on en fait le tour, même si on passe des jours et des jours à en faire le tour, on ne peut pas avoir accès à toute l’information. Je suis sûr qu’il y a des éléments de la pièce qu’on ne peut pas voir, qui sont invisibles pour le spectateur, qui sont cachés.»

La sculpture mesure 328 x 640 x 714 cm. Elle contient les matériaux suivants: plexiglas, polystyrène, mousse expansive, gel et résine époxy, résine synthétique, cheveux synthétiques, tissu, cuir, fil, miroir, plâtre, peinture acrylique, peinture latex, fil de fer, yeux de verre, sequins, céramique, quartz, fleurs synthétiques, branchages synthétiques, or, plumes, acier, noix de coco, toile de jute, encre, bois, système d’éclairage.

À partir de 2016, Le flux et la flaque / The Flux and the Puddle sera exposée dans la capitale nationale, au Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ).

Références

J’ai écrit ces commentaires après quelques visites de l’exposition, mais avant de lire l’article de Jean Siag (La Presse), l’analyse d’Anne Prentnieks (The Wall Street Journal) et l’ouvrage de David Altmejd intitulé The Flux and the Puddle. Dans un prochain article, je présenterai ce livre bilingue et luxueux actuellement en vente à la boutique du Musée d’art contemporain de Montréal (MACM).

Hergott, Fabrice. - David Altmejd. Flux. - Paris: Éditions Paris Musées, 2014. - 182p. - ISBN 978-2-7596-0262-9. - BAnQ: à venir. - [Citations, p. 28, 36].

Altmejd, David; Kotana, Jason; Prentnieks, Anne. - The Flux and the Puddle. - New-York: David Altmejd Studio Inc., 2014. - 128p. - ISBN 978-0-9906628-0-8. - [Publication le 23 juin 2015]. - BAnQ: à venir.

Le laboratoire de David Altmejd (Jean Siag, La Presse, 16 février 2014)

Artist David Altmejd’s World of Pure Imagination (Anne Prentnieks, The Wall Street Journal, 6 octobre 2014)

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